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J'aurai ta peau

Renaud, un jeune N-S

                Renaud a fixé lui-même ce rendez-vous sur le perron de la gare --- en début d’après-midi. Un peu anxieux à l’idée de ne pas le reconnaître, nous essayons de nous remémorer les quelques minutes qu’a duré notre première rencontre, cinq jours plus tôt. Nous avions échangé quelques paroles près de la permanence FN, dont il poussait la porte pour la première fois, le temps d’expliquer notre démarche et d’échanger nos coordonnées. Mais il était près de 21 heures, au mois de janvier la rue était glaciale et déserte et nous n’avions pas vraiment prêté attention à sa physionomie. Il surgit soudain sur le parvis et à mesure qu’il s’avance, notre mémoire est rafraîchie. Renaud possède une démarche assurée. Sur son T-shirt du groupe Screwdriver, il porte un Bomber’s noir et son pantalon treillis se termine par des Ranger’s montantes jusqu’aux genoux, nouées de lacets blancs. Nous lui proposons d’aller dans un café proche de la rue de B., la discussion s’engage à mesure que nous battons le pavé. Il porte des cheveux longs, non peignés, sous forme de queue de cheval et son visage long et anguleux porte les traces de l’acné. De petite corpulence, il semble sec et réactif. Son attitude envers nous est avenante : il se montre curieux de notre démarche et soucieux de faire de son mieux. L’entretien en lui-même se passe donc de manière détendue, Renaud ayant visiblement décidé de nous faire confiance, jusqu’au point de tolérer un dictaphone. Ce qui le gêne en revanche, c’est que le café se remplisse au cours de l’entretien, l’amenant à parler de plus en plus doucement. Même son débit de voix normal, observé plus tard à la permanence, est extrêmement saccadé : il parle peu et par rafales, en avalant des mots. Je suis amené à le faire répéter souvent, si bien que l’entretien prend parfois des allures comiques, en dépit de son contenu. 

               Renaud a 19 ans, il redouble sa terminale littéraire dans un lycée privé aux abords de ------. Son parcours scolaire, qu’il présente comme moyen, s’est fractionné en de nombreux établissements avec pour seule constante le fait de rester « dans le public ». Il entre d’abord au collège F., dans le centre de ----, près du domicile familial. Mais il fait sa troisième à R., puis décide d’intégrer le lycée d’A., où il passe deux ans. Parce que le « cadre » ne lui plaît plus, il revient à R faire une terminale. Ayant échoué au bac, il redouble mais est exclu au bout d’un mois. Depuis octobre, il est interne dans un lycée privé.

Pour expliquer les racines de son adhésion, Renaud évoque spontanément cet univers scolaire dans lequel il a passé la majeure partie de sa vie. L’année de troisième, surtout, reste dans son esprit comme une période très difficile et une date de prise de conscience. Il décrit un établissement parasité par la violence des jeunes issus de l’immigration, une violence multiforme active tant à l’extérieur qu’à l’intérieur des cours, aussi bien dirigée contre les élèves qu’à l’encontre des professeurs : « de moins en moins de blancs, de plus en plus d’incidents pendant les cours, à la récré des bastons, des rackets (…) C’est normal avec tous les Arabes… ». Renaud s’indigne du fait que ces actes, qui sont le fait d’une minorité, nuisent aux autres en allant jusqu’à entraver le bon déroulement du cours, jusqu’à faire échec à leur désir d’apprendre et de réussir « En 3ème c’était assez insupportable : les profs qui se faisaient insulter pendant les cours et pendant la récré, les élèves qui se faisaient frapper aussi…. ». Son avis se fait de plus en plus tranché, son jugement devient plus catégorique à mesure que les incidents se multiplient. Pendant cette période, il ne parle à personne de ce qu’il ressent, faisant tôt l’expérience de la culpabilité mais surtout conscient de courir un risque à exprimer de telles idées en public. Il se réfère en cela à l’expérience de sa propre sœur, de trois ans son aînée, stigmatisée au collège pour moins que ça. Les conséquences d’une étiquette de cette nature en milieu scolaire le dissuadent d’un coming-out équivalent à un arrêt de mort.

« Non j’en parlais pas. Ben, vu qu’on se sent coupable quand on pense ça, forcément on peut pas trop en parler. Déjà que ma sœur, qu’est pas raciste du tout, elle a eu pas mal d’emmerdes à cause de ça… alors moi qui suis vraiment raciste… J’ai pas trop compris ce qui s’est passé. Pendant deux ans elle a été traitée de raciste alors qu’elle est pas du tout comme ça. Elle avait dû faire une réflexion à un Arabe. »

Cette période de stigmatisation, que sa sœur vit très mal, l’oblige à taire ses pensées en même temps qu’elle leurs apporte une véritable caution : l’injustice est avérée puisque sa sœur ne pensait même pas à mal. Tenue au secret, son indignation se développe et mûrit. Il se radicalise d’autant plus fortement qu’il lui faut sauter franchement le fossé normatif : le temps n’est pas à la demi-mesure « ça nous culpabilisait un peu, mais enfin moi je les aimais déjà pas… enfin tous les étrangers en général. ». Une hiérarchie s’impose néanmoins en fonction des responsabilités respectives : en priorité les « Arabes » mais « les Noirs aussi, les Asiatiques un peu moins… » Renaud ne dit toujours rien, il s’applique à ne pas faire mention de ses idées autour de lui, ni d’ailleurs dans sa famille « Je le gardais pour moi. ». Au sein d’un milieu intellectuel bourgeois, face à un père « maître de conférence en socio » et une « mère DRH », Renaud ne trouve pas l’occasion ni le motif d’ouvrir son cœur. Élevé dans des valeurs de tolérance, il se sent incapable de dévoiler des convictions qui heurteraient brutalement l’équilibre familial. Aujourd’hui, il préfère dire qu’il n’en éprouvait pas le besoin : « Parce que j’avais pas besoin de m’exprimer, parce que pour moi, à l’époque, c’était à la limite dangereux de parler de ça. »

Si il précise « à l’époque », c’est que cette situation va rapidement évoluer : son passage au lycée d’Armentières est perçu comme une redistribution des cartes. Dans un établissement plus grand, où la moyenne d’âge est sensiblement plus élevée, Renaud se lie « avec des gens qui visiblement en avaient marre aussi : des skins ou des trucs comme ça… » (souligné par nous). Soit une petite dizaine de garçons, qui rendent leurs opinions visibles via leur tenue vestimentaire explicite et leur crâne rasé. C’est donc en toute connaissance de cause que Renaud établit un contact avec eux « en cour de récréation ». Les premiers échanges permettent de jauger le niveau de radicalité du nouveau venu « Quand tu parles un petit peu avec eux, tu te rends compte qu’ils aiment pas trop les étrangers… on en parle un peu et on voit qu’on a les mêmes opinions. ». L’entrée dans le groupe semble avoir signifié pour lui la fin d’une errance, et sa tonalité aujourd’hui blasée cache mal le sentiment de soulagement qu’il éprouve alors à l’idée de trouver enfin sa place. Surtout, Renaud se montre tout à fait conscient de la dynamique interne qui s’est opérée à l’intérieur du groupe. Ce dernier se fonde originellement sur un rejet des jeunes de couleur, particulièrement de ceux d’origine maghrébine, perçus comme étant les plus malfaisants et les plus provocateurs. Progressivement, les membres homogénéisent et renforcent leurs valeurs, accentuent leurs croyances : ils fondent une communauté. Mais leur discours n’est pas encore rattaché au discours partisan :

« On réalise qu’on a raison en fait. On va de plus en plus loin à chaque fois… Au début on n’aime juste pas les Arabes, parce que c’est toujours eux qui foutent la merde… c’est en schématisant, hein… et à la fin on adhère au FN. Y a quand même une marge entre les deux. »

Le franchissement de cette marge se fait au sein du groupe et grâce à lui. Après avoir permis la parole décomplexée, il joue le rôle de centre d’échange des expériences, des goûts littéraires et musicaux : Renaud se fait prêter des biographies interdites, on lui grave des CD de rock identitaire français, de rock anti-communiste (RIF et RAC), dont les interprètes sont « tous fichés ». Il découvre aussi les joies des magasins de surplus militaire. Au-delà de la dimension culturelle, on se persuade de la nécessité d’agir : « On fait de plus en plus attention aux faits, on lit, on écoute de la musique… un peu engagée, on parle entre nous et on réalise que, vraiment, faut faire quelque chose. » Renaud perçoit bien que cette dynamique collective lui a fourni l’appui nécessaire à son engagement, jusqu’à l’adhésion en elle-même : n’est-il pas entré dans la permanence avec un des membres du groupe formé en seconde ?

À cette époque, élève de niveau moyen, Renaud s’intéresse davantage aux grands sujets sociaux et politiques, à la vie de la cité et à ses rouages, qu’il aime à déconstruire. Par l’intermédiaire du groupe, il découvre des auteurs nouveaux, dont les thèses lui paraissent mettre à jour ce que personne ne dit et mettre à mal ce que tout le monde tient pour vrai. Il s’immerge dans cette dimension totalement occultée des programmes scolaires et des discours médiatiques, parce qu’il y trouve la preuve de la justesse de son analyse et surtout les arguments capables de l’étayer. L’Internet va particulièrement l’aider dans son entreprise d’exploration de cette face cachée de la production scientifique et littéraire. Les sites spécialisés américains, retranchés derrière le 1er Amendement, proposent à leurs visiteurs toutes sortes d’articles interdits à la vente en Europe : des ouvrages révisionnistes, des enregistrements de chants nationalistes et racistes, des éléments du folklore nazi : des biographies, photographies, films, insignes, drapeaux et costumes. Renaud perçoit ces vitrines électroniques et leur contenu comme de vraies mines d’or : toute son intelligence s’y déploie, une grande partie de ses ressources y passe. À mesure qu’il multiplie les lectures, son référent change d’échelle – d’un constat particulier à une doctrine globale, d’une hypocrisie contextuelle à une imposture historique – et se radicalise. Renaud se revendique désormais raciste et négationniste :

« On peut étudier, on peut lire… Y a eu des critiques énormes, des bouquins là-dessus. Moi je dois en avoir 4 ou 5 rayons… sur les SS, le Reich, les chambres à … (il se reprend) enfin les ‘‘chambres à gaz’’… les camps de concentration et tout ça. »

Il prononce ces phrases non sans bravade, avec la méticulosité en rodage du jeune chercheur en sciences sociales. Il sait détenir des outils d’analyse exclusifs, des références scientifiques, il connaît les dates des évènements auxquels il pense, et même si tout cela est un peu confus, un élément essentiel cimente l’ensemble : sa conviction. Elle semble à toute épreuve, l’on devine quels obstacles elle lui a fait traverser et combien elle en est sortie renforcée. Très bien renseigné sur les dispositions pénales antiracistes et anti-négationnistes, Renaud prend soin de s’exprimer avec précaution. Son propos, enregistré, louvoie en permanence entre conviction de fond et retenue de forme, le conditionnel est son garde-fou juridique. Il en veut surtout à la loi Gaysseau d’imposer un dogme scientifique, d’empêcher tout débat sur le sujet : « si y avait pas ça on pourrait peut-être voir que y a pas eu 6 millions de morts (…) ben les chambres a gaz n’ont peut-être pas forcément existé... ». Son amertume est réelle face à des dispositions pénales qu’il appréhende comme une épée de Damoclès menaçant la liberté de parole des chercheurs et de leur public. Il voit en Robert Faurisson (« tu connais peut-être de nom ? ») l’un des martyrs de cette cause « c’était un professeur de lettres à Lyon qui a fait pas mal d’études révisionnistes, ou négationnistes. Pour ça il a du s’exiler de France, il doit habiter aux Pays-Bas maintenant (…) Il a été agressé une dizaine de fois par des Juifs et tout ça… Voilà, c’est assez terrible comme répression. ». Ladite répression paraît, dans sa bouche, tenir lieu de preuve quand à la véracité de l’analyse de l’historien. Renaud voit en chacun de ces coups de couteau un argument de plus à verser au compte de cet homme, courageux et solitaire, mis au ban de sa communauté. Tout comme lui.

L’isolement

Renaud tient beaucoup au fait de ne s’être jamais laissé faire face aux jeunes issus de l’immigration, quitte à finir « la gueule en sang par terre ». Dès le collège, sa mise à l’écart est déjà patente. Une fois au lycée, sa tenue et son groupe d’appartenance, mais aussi quelques provocations comme des croix gammées qui « traînaient » sur sa trousse, l’excluent unanimement et définitivement. Alors qu’il y a une évidente difficulté à fréquenter quotidiennement un établissement scolaire où l’on possède un statut de paria (« j’étais tout le temps seul »), Renaud s’emploie à minorer cet aspect des choses, arguant qu’il va en cours pour apprendre, pas pour se faire des amis. Mais l’école elle-même le trompe, notamment en le confrontant à l’étude de la Shoah, en terminale « Ça nous rendait malades, mais on disait rien. (…) On savait bien que c’est faux, c’est truqué… ». Quelques mois plus tard, le divorce avec le système public est consommé: c’est le renvoi définitif. En attendant, son intégration dans le milieu de l’ultra droite a achevé de le couper des autres milieux dans lesquels il est forcé de se mouvoir, et où sa socialisation, déjà haletante, s’en est trouvée étranglée. Tenté un instant par l’idée de diversifier ses fréquentations le temps de l’entretien, le naturel le rattrape malgré lui « J’ai des amis qui sont pas racistes du tout, qui s’en foutent complètement, mais j’ai pas d’ami noir, j’ai pas d’ami arabe. Pas d’ami Juif non plus. » Quant aux amis non racistes en question, lui-même ne semblerait pas les tolérer s’ils existaient, car en cas de désapprobation, c’est « tant pis pour eux. » Un mot d’ordre qu’il applique d’ailleurs avec autant de fermeté à ses parents, lorsque l’on évoque le sujet (lui ne le fera jamais de lui-même) : des parents auxquels il reproche leur argent, dont il profite si l’on en croit son téléphone portable dernier cri, et leur passivité politique. Étant de « droite modérée parce qu’ils sont un peu riches… mais enfin c’est tout », ils ont fait l’erreur de considérer leur fils comme un des leurs, prêt à suivre sa sœur en école de commerce. Ils ont joué leur va-tout dans un débat tardif avec une personne dont ils ont réalisé qu’ils ne la connaissaient pas, et qui n’était de toutes façons déjà plus capable de les entendre. « Ça les a assez choqués je pense, parce que ils pensaient que j’étais… que ça m’intéressait pas ou que j’étais… Depuis, ça fait des années qu’ils essayent d’en parler avec moi mais bon… ». Son mépris affiché pour la tiédeur de ce milieu bourgeois, pourtant, ne l’empêche pas de se souvenir qu’il en est issu et de considérer la situation depuis l’angle paternel « J’pense qu’aucun parent n’aimerait voir ses enfants tourner comme ça... ça leur fait un peu peur ». Ce qui fait la particularité de Renaud, c’est son capital culturel et la façon dont il interagit avec son appartenance néo-nazie, récente mais qui se veut exclusive. D’abord, cela lui permet de percevoir pleinement la transgression qu’il réalise. Ensuite, il sait la dimension sulfureuse que peut revêtir le milieu néo-nazi aux yeux d’une conscience bourgeoise. Vis-à-vis de l’étudiant en sociologie, il entretient cette dimension, en joue, en enveloppe ses phrases. Tour à tour pour s’en écarter, puis pour y adhérer de plus belle et en donner des illustrations frappantes

Une même soif de savoir et de bagarres

Cette double appartenance lui permet de cultiver, durant l’entretien encore davantage que dans son quotidien, une ambivalence troublante qui met à mal les prénotions. Ce n’est pas, tout d’abord, du milieu skinhead qu’il se revendique, mais de la mouvance néo-nazie dite « NS » (national-socialiste). Sans aucunement s’attarder sur l’aspect idéologique, il met l’accent sur les éléments visuels qui distinguent les familles « je ne suis pas skin : enfin j’ai des cheveux… ». L’esthétique joue un rôle essentiel : elle organise l’échelle de radicalité (non pas idéologique mais physique) des groupes et traduit ainsi leurs ambitions en terme d’affichage et d’occupation du terrain « Y a quand même les skins qui sont au-dessus, ils sont plus NS que nous ». D’où une certaine attirance, qui fait se rapprocher les NS comme Renaud des skinheads, la fréquence de ces rencontres étant favorisée par la proximité et la densité de la scène belge (« de bons après-midi dans les Flandres »). Une attirance qui les incite également à mimer la geste skinhead en milieu urbain, toutes proportions gardées : Renaud et ses condisciples aiment à arpenter les rues de l’agglomération ---- en défiant les jeunes aux survêtements griffés Lacoste. Pas tant pour se battre (« En général, ils disent rien parce qu’ils voient qu’on est nombreux et qu’on est prêts ») que pour rappeler à l’ennemi leur existence, leur présence permanente et leur volonté inflexible : « C’est surtout pour montrer qu’on est là, qu’on sera toujours là. Que si ça leur plaît pas, c’est pareil. ». En cas de résistance, Renaud assure que « ça fait boum », précisant –en réponse à mon regard perplexe sur sa constitution chétive– qu’il a « fait trois ans de boxe française ». Cette capacité de la bande à parader en montrant ses muscles est essentielle pour ses membres. Ils ne perçoivent pas la démarche en elle-même comme une transgression, car elle représente la juste réponse à des années de provocation de la part des « étrangers », qui vont « chercher à se battre, à être provoquant ou à parler plus fort que d’autres ». Chacun ayant eu une multitude d’occasions de s’estimer humilié, directement ou pour son pays, tous ont le sentiment de rétablir un rapport de forces légitime, d’inverser la balance de la peur. Tourmentés hier, ils veulent aujourd’hui persécuter à leur tour, un peu à l’image d’un ancien Ministre de l’Intérieur qui voulait « terroriser les terroristes ». Ces derniers ne sont d’ailleurs pas si loin. Les interactions des NS avec les autres branches radicales, permettent à Renaud d’apercevoir, dans l’ombre et à plus ou moins bonne distance, les éclaireurs des groupuscules potentiellement terroristes. Il n’en parle qu’en creux, au hasard des sujets abordés. Empruntant un ton jubilatoire pour évoquer Yann Stuart, chanteur du groupe londonien Screwdriver (« Il a fondé Blood & Honor et (inaudible), qui sont quand même des unités… enfin presque des groupes terroristes. Ce groupe est assez génial. »), il se montre exagérément déçu lorsque nous évoquons l’attentat manqué de Maxime Brunerie contre le Président Chirac. Mais aborder le sujet de front, devant un magnétophone ouvert ou fermé, le fait se taire immédiatement. Réelle ou fantasmée, son appréhension des sphères hors-la-loi l’a persuadé d’une chose : ce chemin n’est pas fait pour lui. « Le combat plus violent, il existe mais il est souterrain…et c’est quand même assez risqué » évacue-t-il dans un souffle. Rien qu’en comptabilisant, dans sa collection de CD, le nombre de groupes finalement dissous (il est question d’Elsass Korps), Renaud a réalisé la difficulté, voire l’impossibilité, de concurrencer l’Etat sur le domaine de la violence « Y a beaucoup de répression, on peut pas… ». Pas viable à ses yeux, l’action violente n’est surtout pas rentable en termes politiques « on pourra pas prendre le pouvoir comme ça. ». Même s’il montre la même attitude combative dans ses idées et dans son mode d’agir, Renaud sait que le véritable enjeu se gagne dans les urnes, pas sur les parkings à la nuit tombée. En cela, lui et la majeure partie de son groupe se différencient clairement des skinhead, pour qui une fraternité solide -trempée dans l’alcool et les rixes- est une fin en soi (ils « essaient surtout de faire des ratonnades »). Des organisations plus structurées, telles les Jeunesses identitaires, « ont dû fermer » souligne-t-il, laissant plusieurs de ses compatriotes sur le pavé. Et même si elles se sont vraisemblablement reformées, le principal est là : faute d’une audience sérieuse et d’une respectabilité, de tels mouvements sont voués à l’échec. Renaud, lui, a le désir de réaliser ses idées.

Un moindre mal

Suivant cet objectif, le jeune NS dépasse rapidement chagrins stériles (« Si y avait un Parti Nazi Français, j’aurais pris ça. Mais y en a pas, malheureusement… parce que c’est interdit. ») et circonvolutions idéologiques pour agir en parfait homo politicus. Et le jeune homme de 19 ans de résumer la situation avec lucidité : « Politiquement on peut rien faire. Faut adhérer à un parti qui nous correspond le mieux, le moins pire on va dire ». Si, une fois le constat fait de l’insignifiance politique des bandes, il se tourne vers le Front national, c’est en effet que celui-ci maximise son utilité sous contrainte. Son utilité, c’est être représenté en tant que « nationaliste » ; la contrainte, c’est l’étendue (limitée) de la droite française :

« A part le FN, y a quoi ? Le MNR, mais c’est plus pour les patrons… De Villiers, sachant que les Juifs votent pour lui et qu’il est pour la loi Gaysseau, on va pas voter pour lui. Y a Sarkozy mais bon… c’est un Juif. » (je m’étonne) « Oh si, ça se voit ! Et puis même, il l’est. Il est juif hongrois. Sachant qu’il a dit qu’il préférait voir Israël en Europe que la Turquie, c’est pas anodin. »

Renaud se montre néanmoins conciliant « je préfère un parti un peu moins radical et qui dise des choses quand même, que pas de parti du tout. ». Dans son choix du Front, il n’éprouve pas la vexation ni le dépit qui auraient pu être ceux d’un extrémiste forcé de se ranger, d’un enragé contraint de garder le lit du parti. Il passe sous les fourches caudines de la démocratie avec résignation, mais aussi avec espoir : « Seul on peut rien faire, mais si on se regroupe tous… on pourra peut-être faire quelque chose. ». Quant à ce que l’« on » fera, le projet reste nécessairement flou, naviguant entre la douce folie et un service minimum (« Pas forcément retourner au IIIème Reich mais bon, faire au moins… être un peu plus nationalistes. »). Il ne s’arrête ni à la relative modération des autres frontistes (décrits comme peu modérés hors interventions sociologiques) ni aux divergences internes (« des détails. Ils sont quand même nationalistes et c’est le principal. »). Le principal, cela reste de parvenir au pouvoir : Renaud a donné sa chance à la voie légale en lui donnant un ultimatum électoral : au-delà, le récent militant pourrait revenir dans une ombre qu’il n’aura jamais vraiment quittée. Il envisage donc de coller, de tracter « au moins jusqu’à 2007, voir ce que ça donne aux élections », et dans le cas où le Front échoue « peut-être qu’on passera à autre chose, des trucs plus radicaux ou je sais pas… » 

L’instruction

Plus encore que dans sa tendance participationniste, ses racines bourgeoises continuent de sous-tendre un autre aspect de son identité politique : son intérêt pour les problèmes contemporains. Le premier pas de l’adhésion fait, Renaud ne baisse pas pour autant sa garde vis-à-vis du système : il veut s’instruire encore, « lire différents écrits sur le monde actuel, enfin ce qui se passe actuellement dans la société, pour être sûr de faire le bon choix. ». Une fois son bac en poche, il voit son avenir en Faculté de Droit, avec dans l’idée de devenir « policier ou juge d’instruction ». « Parce qu’on peut justement étudier la loi, qu’est un peu en contradiction avec nous. J’ai envie de voir comment mieux la déjouer aussi… » : faisant sienne la maxime, il prendra garde de tenir ses amis près de lui et ses ennemis plus près encore.

Tranquillement projeté par Royal-ornythorinque, le Jeudi 11 Mai 2006, 18:31 dans la rubrique "Croisée des chemins".


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