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J'aurai ta peau

Antoine, un chevalier sans monture

                 Lorsque nous avons joint M. XXX par téléphone pour lui demander de nous aménager des entretiens avec les militants de la structure FNJ de ---, ce dernier a spontanément accepté. Quelques jours plus tard, un rendez-vous était fixé. N’ayant aucune garantie sur notre identité, ni sur nos intentions véritables, le responsable sélectionna au sein du groupe militant un candidat à l’examen extérieur. Cette sélection se fit donc en fonction des critères supposément valorisés par l’interlocuteur officiel, figure mutante construite à partir de membres des champs journalistique, universitaire et étudiant. Dans la mise en œuvre de son devoir de précaution, il compléta son casting par un briefing préalable, de sorte que l’aspirant interviewé n’ait pas dans l’idée de fournir de quelconques informations. Enfin, M. XXX ajouta aux termes du contrat ainsi rédigé une clause de transparence, un droit de regard qu’il exerça avec une inspiration toute judiciaire, debout derrière notre chaise, durant la majorité de l’entretien, de manière à faire face au jeune militant. Aussi ce dernier ne cessa-t-il pas, notamment lors des questions abordant le parti, de lancer des regards embarrassés 50 centimètres au-dessus de notre tête, avant de continuer son propos, mais aussi de le reprendre ou plus simplement de l’interrompre, au profit d’une parole perçue comme plus autorisée. Malgré les conditions de cet entretien, qui tenait du manège, deux éléments ont permis d’éviter le discours creux : d’abord la nature même du thème abordé, plus personnel que politique, mais également la forte proximité sociale et culturelle existant entre l’interviewé et nous, capable de créer l’intimité qui nous était de fait enlevée.

Antoine serait en effet, pour une exposition médiatique, un excellent candidat. À 25 ans, il a achevé des études de philosophie et de communication, séjourné à l’étranger, a même tenté « de lancer une boîte ». Spontanément souriant et soucieux de « bien répondre », il prend place en face de moi : son allure est classique -laine, velours côtelé et mocassins- avec une pointe de distinction dans une écharpe tissée. C’est un jeune homme dont l’apparence sobre et tranquille évoque la foi essentielle.

La socialisation familiale

Antoine est l’un des membres d’une fratrie de cinq enfants, élevés au sein d’une famille aisée de la métropole ----. « Profondément catholique », sa famille est également, de longue date, « très engagée » dans le domaine politique. Ce cadre double va être perçu et intégré par Antoine à travers un même schéma : celui du legs dont il faut se montrer digne « c’est vrai que quand on a reçu un héritage comme celui-là, on peut avoir envie, naturellement, de s’engager. » (souligné par nous). Au-delà de la tentation, récurrente, de tisser un lien direct capable de rationaliser son parcours, les propos d’Antoine soulignent l’importance de l’engagement parental, d’ailleurs moins perçu comme un modèle indépassable que comme un potentiel transmis. Deux éléments viennent ébrécher la construction de sens faite a posteriori : d’abord, même si la parole politique est omniprésente à la maison, ses frères et sœurs ne se politisent pas outre mesure. Quant à lui, ce potentiel va rester en sommeil près de dix ans avant d’être réhabilité. Alors que la socialisation religieuse est immédiate et complète, son pendant politique tient en fait plus du patrimoine que de la succession.

Parallèlement à son parcours scolaire, sans fausse note, Antoine intègre des associations catholiques capables de lui faire vivre sa foi avec la plus grande ferveur possible, aux côtés de jeunes également passionnés. Vues de l’extérieur, ces associations sont considérées comme radicales. Sur ses engagements, encore très actifs à l’heure actuelle, ainsi que sur la nature de ces structures, Antoine reste très allusif. Cela pourrait passer pour une pudicité élémentaire, ou pour le souci laïc d’une posture officielle, reste que la présence d’un tiers hiérarchique semble peser sur lui plus efficacement que sa propre retenue. Il ne s’attarde pas non plus sur son cursus universitaire, préférant insister sur la période qui l’a suivi.

L’expérience de l’étranger

La proximité temporelle de cette période ne suffit pas à expliquer sa prégnance dans le discours d’Antoine, sa mise au premier plan dans le tableau spontané qu’il brosse de lui-même « J’ai aussi voyagé, on peut dire que c’est ce qui me caractérise le plus. » Elle a véritablement joué le rôle d’une socialisation à part entière, d’une ouverture inédite. Parti en Italie pour démarrer une PME, Antoine envisageait également de jeter des ponts associatifs entre Rome, lieu de symbole pour les jeunesses catholiques, et l’Hexagone (« j’avais envie de connaître d’autres mouvements dans d’autres pays »). En sus de lui apporter une formation supplémentaire, de nouveaux « contacts », l’expérience de l’étranger fait évoluer son regard sur son pays d’origine

« Donc j’ai une expérience un peu différente euh… comment dire… j’ai un aperçu de la société française, par exemple, un éclairage qui vient de l’étranger puisque j’ai eu des expériences à l’étranger, et donc j’ai un œil peut-être un peu aiguisé, critique par rapport à ce qu’on vit en France. »

Ainsi équipé, pour reprendre une image célèbre, de nouvelles lunettes, Antoine rentre en France après quelques mois. Son regard, qu’il ressent décalé par rapport à sa génération, vient réveiller sa sensibilité politique, jusque-là en sommeil. Surtout, un trait de caractère fondamental, on pourrait dire structurel, organise son analyse nouvelle : Antoine est, de son propre aveu, un idéaliste qui ne veut se résoudre à l’apathie ambiante. Il en ressent un malaise, car, malgré sa motivation, il ne se connaît aucune cause politique.

Une rencontre

La rencontre avec le Front va se faire « par hasard », en tout cas de son point de vue, par l’intermédiaire d’une personne qui restera dissimulée derrière des formules particulièrement vagues (« un ami dans un milieu professionnel »). Tellement vagues qu’elles pourraient bien désigner M. XXX, à en juger par l’explosion soudaine du taux de coups d’œil vers le responsable et la démonstration de donquichottisme à laquelle se livre Antoine « Alors c’est quelqu’un que j’estime beaucoup, qui n’est pas du tout un gourou pour moi… (regard) qui n’est pas du tout quelqu’un qui m’a manipulé ». Quoi qu’il en soit, Antoine est renseigné sur le Front national par une personne proche de lui et de ses convictions, intégré aux mêmes cercles catholiques, et qui lui fait valoir l’engagement de plusieurs autres jeunes « J’en connaissais certains… mais je savais pas forcément qu’ils y étaient ». Dès lors, un lien s’opère entre appartenance catholique et frontiste qui prend l’aspect du naturel, tant les acteurs sont proches et les préoccupations semblables. Du moins est-ce le jour sous lequel on l’a présenté à Antoine, que ses lunettes et sa « soif d’idéal » ont prédisposé à approuver. Celui-ci préfère néanmoins l’approche naturelle « Y a une logique des choses. A partir du moment où… on adhère à des idées, on veut s’engager : y a une logique. On adhère… enfin, c’est pas très compliqué. ». Si Antoine, diplômé de philosophie, dénie toute place à la complexité dans l’analyse qu’il fait de son adhésion, il faut y voir le succès de l’entreprise de superposition des fois menée par son « ami » : partant d’une base solide (foi en l’Eglise, foi en la Nation), il a suffit d’une dynamique (foi en un avenir meilleur) pour mener à l’action militante (foi dans le Front national). Soucieux de ne pas trop associer les champs religieux et politique –et plus encore la communauté des catholiques intégristes et des frontistes– Antoine veut pointer uniquement la rationalité d’un processus « J’avais d’autres engagements… proches, si l’on peut dire… qui ont fait que c’était assez logique, quoi. » Mais une autre logique, celle de l’entretien, le pousse à illustrer réellement sa conception des rapports entre les deux engagements « Je fais bien la différence entre la religion et la politique… mais j’estime qu’une personne doit être cohérente entre ses idées, sa vie… entre ce qu’elle pense et ce qu’elle fait. » Cette « cohérence » qui fait sens à ses yeux joue un rôle central, tant dans son analyse des choses que dans ses choix d’action. Elle le fait désapprouver la position d’un François Bayrou, qui dissocie sa foi et son engagement politique, chose « totalement contradictoire » pour Antoine. Cette même cohérence dont font preuve ses parents, boutinistes convaincus, mais pas assez selon lui pour ne pas s’étonner de son rapprochement frontiste « ça les a un petit peu surpris, euh… parce que forcément, il y a un travail médiatique… et donc ça, ça touche tous les esprits, même ceux qui, selon moi, devraient être assez préservés, comme dans le milieu catholique. » Antoine attend des membres de la communauté catholiques la même logique d’action qu’il a aujourd’hui le sentiment d’avoir suivie.

L’idéalisme alarmiste

Derrière ce mécanisme de cohérence qu’Antoine met en avant, certains facteurs se dessinent plus lentement que d’autres. Ainsi, ce n’est qu’à la fin de l’entretien, une fois lancé, qu’il évoque la pièce centrale sur laquelle s’est élevé son désir de militer : son angoisse face à l’évolution de la société française. Face à la montée de la violence (« Jusqu’où on va aller ? Moi je vais pas attendre que ma sœur se fasse violer… »), face à la conception étatique de la vie (« Et c’est pareil pour la destruction de la famille : les 220 000 avortements tous les ans… Moi j’estime que c’est de l’eugénisme »), Antoine ressent un malaise grandissant. La montée incessante de l’individualisme met à mal son idéal organiciste (« Parce que tout se tient dans une société »), que l’on devine faire partie intégrante de l’ « héritage » familial. L’adhésion devient possible lorsque le décalage devient insupportable, c'est-à-dire lorsque Antoine prend conscience de son manque de prise sur les évènements « Mais y a un moment on crève l’abcès. Y a un moment c’est trop gros et ça explose… ».

C’est pourquoi il perçoit immédiatement son engagement auprès du Front comme total : Antoine ne recherche pas des valeurs à défendre mais un moyen de les défendre, il ne lorgne pas sur la carte mais sur le balai et la colle des affiches. Là encore, sa cohérence lui fait voir la foi politique comme la foi religieuse : pratiquante ou moribonde « Y a tous ceux qui ont une carte dans un parti mais qui ne font absolument rien ». Son idéalisme, qui pouvait passer pour un utopisme (« changer le monde »), est pensé comme consubstantiel à l’action « Je pense qu’il faut les deux : les idées… et l’engagement sur le terrain. ». Antoine devient ainsi l’acteur de son idéal en marche, capable d’illustrer sur le terrain sa « volonté de participer au renouveau de la France ».

Tranquillement projeté par Royal-ornythorinque, le Jeudi 11 Mai 2006, 18:35 dans la rubrique "Croisée des chemins".


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